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Finances publiques : une impuissance collective face aux déficits

Pas plus que ses voisins européens, la France n’échappe au ralentissement de la croissance : durcissement de la politique monétaire pour contrer l’inflation, guerre en Ukraine, les raisons en sont essentiellement internationales. Mais la façon dont sont conduits en France les ajustements qui en résultent révèle l’ampleur de notre malaise démocratique.
Il y a d’abord eu l’illusion du déni : alors que la plupart des prévisionnistes pointaient un risque de net ralentissement, le gouvernement s’est longtemps arc-bouté sur un chiffre bien trop optimiste d’une progression du PIB de 1,4 % cette année, sachant que son objectif d’atteindre le plein-emploi en fin de quinquennat en découlait. La révision à 1 %, annoncée dimanche 18 février par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, ne fait qu’acter ce qui ne faisait plus de doute : l’année budgétaire est à peine commencée que l’équation de nos finances publiques est déjà caduque.
Ensuite est venu le réveil brutal marqué par l’annonce d’un plan d’économies de 10 milliards d’euros visant à garder un semblant de crédibilité vis-à-vis de nos créanciers comme de nos partenaires européens. Vu l’ampleur du manque à gagner du fait de recettes moins importantes, alors que les dépenses continuent d’augmenter, la logique aurait voulu que soit élaboré un projet de loi de finances rectificatif débattu au Parlement. L’exécutif, privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale, a rejeté cette option, jugeant politiquement trop coûteux de recourir une fois encore à l’article 49.3 juste avant les élections européennes de juin. Il a donc choisi de rectifier le tir par simple décret.
En décidant d’agir ainsi, au gré des aléas de la conjoncture et de ses marges de manœuvre politiques, le gouvernement s’est condamné à des mesures superficielles, qui non seulement ne sont pas à la hauteur des enjeux, mais donnent aussi un sentiment de flottement sur la politique menée. Une nouvelle fois, le pouvoir a recours au « rabot » budgétaire, dérasant ici et là, sans priorité évidente.
Incapable de dire clairement que le pays vit au-dessus de ses moyens et qu’il est temps de remettre à plat notre fiscalité et nos priorités budgétaires, le gouvernement se croit obligé de tenir un discours lénifiant selon lequel les Français seraient épargnés par les coupes claires et que l’Etat serait le seul à en subir les conséquences. Ce n’est pas en utilisant de tels arguments que la prise de conscience collective émergera.
Cet ajustement est à l’image de la façon dont la France gère ses finances publiques depuis des décennies. A force d’être dans le déni, les décisions sont prises avec retard, au pied du mur, sans que les problèmes de fond (repenser l’efficacité de la dépense publique, réduire le mille-feuille administratif et territorial) soient traités.
L’irresponsabilité budgétaire dont font preuve les oppositions en situation de majorité relative aggrave la crise : sachant que tout finira par un 49.3, aucune n’est incitée à élaborer un contre-budget crédible. Le Rassemblement national, qui prétend incarner l’alternance, ne se sent notamment comptable de rien et fait croire que la préférence nationale et la lutte contre la fraude résoudront tous nos maux.
La politique budgétaire à courte vue du gouvernement traduit en fait notre impuissance collective à gérer nos déficits. Il y a pourtant urgence : entre des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques qui sont en proportion du PIB parmi les plus élevés au monde, notre modèle est à bout de souffle. Tôt au tard, il faudra assumer nos inconséquences, dont la responsabilité est largement partagée.
Le Monde

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